Vals Im Bashir Waltz with Bashir

fr
00:01:01 VALSE AVEC BACHIR
00:03:01 Ils sont là et ils aboient, 26 chiens.
00:03:04 Je vois leurs gueules féroces.
00:03:08 Et ils hurlent à Bertold,
00:03:11 "Jette-nous la tête de Boaz Rein,
00:03:15 Tu as une minute !"
00:03:16 - 26 chiens ?
00:03:19 Comment tu sais
00:03:23 J'y arrive.
00:03:30 - Alors ?
00:03:31 Qu'est-ce qui se passe ?
00:03:34 Comment ça,
00:03:37 C'est à ce moment-là
00:03:39 Tous les jours à ce moment-là ?
00:03:41 Oui, mon rêve n'est jamais
00:03:43 - Depuis combien de temps ?
00:03:46 Et je suis venu pour ça
00:03:48 - Salaud !
00:03:53 Tu comprends que ces rêves
00:03:56 Et je ne t'ai pas encore tout raconté.
00:03:58 Par exemple ?
00:04:00 Tu sais... au Liban.
00:04:02 Quoi au Liban ?
00:04:04 Au début de la guerre,
00:04:07 quand on cherchait des suspects
00:04:12 Oui, et... ?
00:04:28 Quand tu rentres dans un village,
00:04:32 Ils commencent à aboyer
00:04:34 et s'ils n'arrêtent pas...
00:04:37 le village se réveille
00:04:39 Tu perds l'effet de surprise,
00:04:41 L'un d'entre nous devait les éliminer,
00:04:46 Mais pourquoi toi ?
00:04:48 Ils me savaient incapable
00:04:50 Alors ils m'ont dit : "D'accord Boaz,
00:04:53 et tu tireras sur les chiens."
00:05:11 26 chiens. Je me souviens
00:05:15 Leur gueule, leurs cicatrices,
00:05:19 26 au total.
00:05:21 Combien de temps s'est écoulé
00:05:24 20 ans.
00:05:26 - Tu as vu quelqu'un ?
00:05:29 Je ne sais pas : psy, psychiatre,
00:05:33 Non, je n'ai vu personne,
00:05:36 Pourquoi moi ?
00:05:38 Les films sont aussi
00:05:40 Tous les événements marquants
00:05:44 Oui, c'est vrai, mais pas de ce genre.
00:05:47 Et toi, tu n'as jamais
00:05:50 Non, non, pas vraiment.
00:05:53 Vraiment ?
00:05:56 Non.
00:05:58 - Beyrouth, Sabra et Chatila ?
00:06:00 Tu n'étais pas à 100 m du massacre ?
00:06:03 200, 300 m...
00:06:06 Je n'ai rien gardé en mémoire.
00:06:11 Tu n'as jamais de flash-back ?
00:06:13 Tu n'y penses jamais ?
00:06:14 Non, non.
00:06:17 Non.
00:06:24 - Ça ira, hein ?
00:06:27 - Sûr.
00:06:29 Sûr, je vais réfléchir
00:06:32 - Sûr ?
00:07:11 Ma rencontre avec Boaz
00:07:14 Cette même nuit,
00:07:18 j'ai eu un flash-back effroyable
00:07:21 Pas du Liban
00:07:24 Pas de Beyrouth Ouest,
00:07:27 dans les camps de réfugiés
00:08:54 Il s'est passé quelque chose ?
00:08:58 Tu sais comment c'est...
00:08:59 Chacun a un ami avocat,
00:09:03 et un ami psy, et on vous met
00:09:07 Oui, mais ton ami avocat,
00:09:08 tu ne serais pas venu le voir
00:09:10 Mon ami avocat me coûte
00:09:14 Tu sais, il y a un truc
00:09:16 Pourquoi ai-je eu besoin
00:09:21 avec ses chiens fous...
00:09:24 pour réveiller ma mémoire ?
00:09:29 La mémoire est très intéressante.
00:09:31 Je vais te raconter une expérience
00:09:37 On a réuni un groupe de personnes.
00:09:40 On leur a montré dix photos
00:09:44 Neuf photos étaient vraiment
00:09:47 et une photo était un photomontage.
00:09:49 On avait intégré leur image
00:09:52 où ils n'avaient jamais mis les pieds.
00:09:58 80% d'entre eux se sont
00:10:01 dans le photomontage.
00:10:05 Les 20% qui ne se sont pas souvenus
00:10:08 Les chercheurs leur ont dit :
00:10:11 Ils sont revenus avec la photo
00:10:12 et ils ont dit en avoir des souvenirs.
00:10:16 "Quelle superbe journée au parc
00:10:19 Ils se sont souvenus de cette expérience
00:10:24 La mémoire est dynamique, vivante.
00:10:27 Et même s'il manque des détails
00:10:30 la mémoire remplit les trous
00:10:32 de choses qui ne sont jamais arrivées.
00:10:37 Ce que tu dis, c'est que
00:10:42 c'est comme la photo au parc ?
00:10:45 Je l'ai inventée ?
00:10:48 Je ne sais pas,
00:10:50 - Qui y était avec toi ?
00:10:53 Du lycée... tu t'en souviens ?
00:10:56 Et un autre,
00:11:00 Va demander à Carmi
00:11:03 Il vit en Hollande.
00:11:07 Si ça te préoccupe,
00:11:11 Ce n'est pas dangereux ?
00:11:14 - que je ne veux pas savoir ?
00:11:17 Tu vas découvrir des choses.
00:11:21 ce que tu veux savoir
00:11:25 Tu n'iras pas plus loin
00:11:27 Il existe un mécanisme humain
00:11:31 dans les zones obscures.
00:12:10 Tu vois tout ça ?
00:12:14 Oui.
00:12:15 Tout ça m'appartient.
00:12:20 Tout ça ?
00:12:22 Depuis les arbres là-bas
00:12:25 - Tout est à toi ?
00:12:28 À peu près 4 hectares.
00:12:32 - Tout ça en vendant des falafels ?
00:12:38 Viens voir.
00:12:43 Combien de falafels tu as vendus ?
00:12:45 Trois années ont suffi.
00:12:48 Au début des années 90,
00:12:52 À l'époque, le végétarien
00:12:56 Le falafel, c'est à la fois
00:13:00 Les gens pensaient
00:13:04 Quels gens ?
00:13:06 Je ne sais pas, mes parents,
00:13:10 Ils pensaient que vers 40 ans,
00:13:13 tu serais candidat au Nobel.
00:13:15 Dès 20 ans,
00:13:19 Tu as froid ?
00:13:20 - Froid ? Je suis gelé !
00:13:25 Faut faire tout ça à pied ?
00:13:29 Viens.
00:13:30 C'est marrant
00:13:32 - Pourquoi ?
00:13:34 je venais de sortir
00:13:38 Il est sorti jouer
00:13:41 et il s'est mis
00:13:43 "Où j'étais à l'armée ?
00:13:46 - Tu as tiré ?
00:13:50 Viens, rentrons,
00:13:53 Ça te dérangerait que je te dessine
00:13:58 Non.
00:14:00 Non, ça ne me dérange pas.
00:14:03 Je vais l'appeler, d'accord ?
00:14:05 Tant que tu dessines
00:15:15 Aussi incroyable soit-il,
00:15:18 sur un bateau, un petit yacht,
00:15:22 que l'armée avait loué,
00:15:26 Quoi qu'il en soit,
00:15:29 de le surprendre par la mer.
00:15:31 Un yacht avec jacuzzi, bar...
00:15:37 Ce genre de trucs ?
00:15:38 Dans mon imagination, oui.
00:15:42 Des années plus tard,
00:15:45 que c'était un bateau militaire,
00:15:49 À 18 ans, je te prenais pour un intello,
00:15:54 En fait, c'était important pour moi
00:15:58 j'étais sûr que tous autour de moi
00:16:02 sauf moi qui, comment dire...
00:16:05 Le seul nullard qui gagnait
00:16:09 J'avais un problème avec ma virilité,
00:16:12 J'avais quelque chose à prouver
00:16:14 Je devais être plus combatif,
00:16:17 Et tu as réussi ?
00:16:20 En fait, oui.
00:16:23 Je me suis senti fort,
00:16:26 La guerre a commencé,
00:16:29 on a embarqué
00:16:31 ce putain de yacht.
00:16:33 Et je...
00:16:36 J'ai vomi toutes mes tripes.
00:16:38 Je me demandais
00:16:40 en me voyant
00:16:43 Je me suis effondré
00:16:46 Chaque fois que j'ai peur,
00:16:50 Aujourd'hui encore, je m'endors
00:17:33 Je suis sur le pont, évanoui.
00:17:38 Je rêve de ce moment
00:17:42 où enfin une femme arrivera
00:17:48 et me prendra
00:17:54 Je vois mes amis
00:17:56 mes meilleurs amis en feu
00:17:58 - Où ?
00:18:33 Je me réveille
00:18:35 Le jour se lève
00:18:37 - Quelle ville ?
00:18:40 Saïda, je crois.
00:18:43 À cause de la peur et du stress,
00:18:50 - Vous tirez sur qui ?
00:18:55 Je vois une vieille
00:18:58 et qu'on mitraille comme des fous,
00:19:04 Deux ans d'entraînement
00:19:12 Et puis, le silence.
00:19:14 Un silence...
00:19:16 Cet effroyable silence de mort.
00:19:19 Alors à l'aube,
00:19:21 tu regardes toute cette destruction
00:19:29 Sans savoir où tu es.
00:19:32 Et dans la voiture...
00:19:35 Quoi, dans la voiture ?
00:19:37 Les corps d'une famille.
00:19:40 - Pourquoi tu es venu me voir ?
00:19:45 - J'ai perdu la mémoire.
00:19:48 - Quoi ?
00:19:51 Quel accident ?
00:19:53 Je ne sais pas : un accident
00:19:56 Non, je n'ai pas eu
00:19:59 De toute la période
00:20:02 je ne me souviens de rien.
00:20:05 Je n'ai qu'une image en tête.
00:20:09 Et pour je ne sais quelle raison,
00:20:13 Quelle image ?
00:20:50 Tu étais avec moi là-bas ?
00:20:54 - Je ne sais pas très bien.
00:20:58 Je ne sais pas, non...
00:21:00 Je ne me souviens pas du massacre.
00:21:03 Mais... tu étais à Beyrouth
00:21:08 J'y étais, oui,
00:21:09 Je n'oublierai jamais l'entrée
00:21:14 Comment dire ?
00:21:19 Massacre, hein !
00:21:56 Et puis c'est arrivé.
00:21:58 Dans le taxi, de retour
00:22:01 soudain, la guerre m'est revenue
00:22:04 Ce n'était pas une hallucination,
00:22:07 C'est le premier jour de la guerre.
00:22:09 J'ai 19 ans à peine,
00:22:12 Nous roulons sur la route,
00:22:15 de l'autre la mer, et nous tirons...
00:22:17 nous tirons au hasard,
00:22:20 jusqu'à la tombée de la nuit.
00:22:26 Le soir, nous nous arrêtons
00:22:31 "Embarque tous les blessés
00:22:35 et débarrasse-t'en !"
00:22:36 "M'en débarrasser ?"
00:22:38 "Oui, tu t'en débarrasses."
00:22:40 "Je m'en débarrasse où ?"
00:22:42 "Comment veux-tu que je le sache ?
00:22:44 Tu les embarques
00:22:46 Peut-être là-bas
00:22:48 C'est là en général
00:22:56 Et je me retrouve sur la route,
00:23:01 Moi qui n'avais jamais vu une blessure,
00:23:05 je commande un blindé
00:23:08 à la recherche de cette lumière,
00:23:10 le salut venant du ciel.
00:23:20 Que faire ?
00:23:23 - Tire.
00:23:25 J'en sais rien, tire, c'est tout.
00:23:27 - Vaut pas mieux prier ?
00:23:42 Finalement, nous apercevons
00:23:45 comme un halo.
00:23:46 Nous nous approchons de la lumière.
00:23:48 Quand nous arrivons,
00:24:25 Nous les déchargeons
00:24:28 totalement absents.
00:24:30 Et nous nous retournons
00:24:58 En fait, le premier jour de la guerre,
00:25:01 j'ai évacué...
00:25:04 tous les blessés et les morts
00:25:08 et je cherche des types
00:25:11 Tu crois que j'aurais évacué
00:25:14 Ça me paraît logique...
00:25:16 On était dans la zone
00:25:21 Oui, c'est possible.
00:25:22 Tu me reconnais là ?
00:25:29 Non.
00:25:31 À vrai dire,
00:25:44 Ça y est, souriez.
00:25:48 Nous avons traversé
00:25:50 avec l'impression
00:25:53 on a pris des photos,
00:25:55 raconté des blagues, des histoires,
00:25:58 on avait un peu
00:26:02 Bonjour Liban
00:26:09 Bonjour Liban
00:26:16 Que tes souffrances s'achèvent
00:26:23 Bonjour Liban
00:26:29 On roulait, le paysage
00:26:33 des maisons isolées,
00:26:35 on avançait lentement,
00:26:40 j'étais dehors avec l'officier,
00:26:44 Tes rêves se réaliseront
00:26:51 Tes cauchemars disparaîtront
00:26:58 Ton existence est une bénédiction
00:27:03 Dans un tank,
00:27:07 Le tank est un engin très lourd,
00:27:12 Dans les tanks,
00:27:14 on se savait protégés.
00:27:19 Tu es écartelé
00:27:26 Tu saignes à mort
00:27:30 Dans mes bras
00:27:33 Amour
00:27:36 De ma vie
00:27:40 Ma courte vie
00:27:46 Tu me déchires
00:27:53 Saignant
00:28:00 Soudain, on a réalisé
00:28:03 on avait perdu le contact.
00:28:05 - Et il était près de toi ?
00:28:07 Et je vois sa tête
00:28:12 Je suis rentré et j'ai vu du sang.
00:28:17 J'ai vu que le sang coulait
00:28:25 Tu étais censé
00:28:27 Oui, j'étais censé le remplacer.
00:28:30 Et je n'ai pas tout de suite réagi
00:28:33 Nous sommes rentrés
00:28:34 et nous n'avons même pas
00:28:42 Deux minutes plus tard,
00:28:50 sans arme,
00:28:52 sans rien...
00:28:54 Ceux qui sont restés dans le tank
00:29:03 J'ai couru très vite, en zigzag,
00:29:27 J'étais sûr que c'était fini,
00:29:31 C'est sûr, ils m'avaient vu courir,
00:29:36 J'attendais ma fin.
00:29:43 Tout ce que je pouvais voir...
00:29:45 c'était le bâtiment
00:29:48 et un officier qui essayait
00:29:52 mais il était assez éloigné.
00:30:19 Je ne sais pas pourquoi,
00:30:34 Je pensais que j'avais été abandonné
00:30:43 J'ai pensé à la réaction
00:30:46 Elle est très sensible,
00:30:48 J'ai toujours été à ses côtés,
00:30:54 À la maison,
00:30:58 C'est le rôle de l'aîné.
00:31:03 Je voulais voir ce qui se passait.
00:31:05 Je les ai vus parler, rire, fumer
00:31:08 et j'étais étonné
00:31:10 qu'ils ne regardent pas
00:31:14 Après plusieurs coups d'œil
00:31:17 j'ai compris qu'ils croyaient
00:31:23 Et je me suis dit que j'attendrais
00:31:26 et que j'avais une bonne cachette.
00:31:37 Je ne sais pas pourquoi,
00:31:47 J'ai nagé en évitant de me rapprocher
00:31:50 pour qu'ils ne me voient pas,
00:31:55 Quand j'ai été assez loin,
00:31:59 Comment était la mer ?
00:32:01 Très calme,
00:32:05 Je me sentais en paix,
00:32:23 J'étais serein,
00:32:27 Mais d'un autre côté,
00:32:31 peur d'être à bout de forces
00:32:35 ou qu'on me voie, qu'on me tire dessus
00:32:50 Tout en nageant
00:32:55 j'entends soudain un bruit sourd...
00:32:58 et je me sens pris
00:33:02 Tout mon corps tremblait,
00:33:37 J'ai vu des lumières au loin
00:33:41 "C'est là que je dois arriver,
00:33:43 ce sont peut-être
00:33:45 Je nageais et je me sentais
00:33:48 J'étais incapable de bouger
00:34:03 Et pourtant, je ne sais pas comment,
00:34:15 Je marchais quand j'ai entendu
00:34:24 Je savais que,
00:34:27 c'était là que je devais arriver.
00:34:38 Par chance, je suis tombé
00:34:46 Après avoir retrouvé mon régiment,
00:34:54 non pas qu'on m'avait abandonné,
00:34:58 qu'on me regardait comme un type...
00:35:03 qui n'avait pas réussi, disons,
00:35:10 Comme si j'avais fui
00:35:14 pour sauver ma propre peau.
00:35:18 J'ai rompu le contact
00:35:20 Au début, j'assistais aux services
00:35:26 - mais je n'ai plus voulu y aller.
00:35:28 Pour ne pas revivre ces instants.
00:35:32 Sur la tombe des autres,
00:35:36 Je ressens de la culpabilité
00:35:39 de ceux qui étaient avec moi.
00:35:40 Je n'ai pas donné
00:35:45 Je n'étais pas du genre
00:35:50 Non, je n'étais pas ce genre de type.
00:36:28 Non, non, vous nous tirez dessus...
00:36:31 J'ai bombardé Sidon chaque jour
00:36:35 Au milieu des nuages de fumée
00:36:41 J'aurais pu revenir dans un cercueil
00:36:46 J'ai bombardé Sidon chaque jour
00:36:53 Un mois après le retour
00:36:57 l'armée a pris position
00:37:01 On nous disait
00:37:03 et qu'on allait tous mourir.
00:37:05 Mais nous étions sur la plage
00:37:07 et nous ne pensions pas trop à la mort.
00:37:10 J'avais une cabane
00:37:12 et quand je repense à cette époque,
00:37:15 j'ai encore la nausée
00:37:21 le fameux parfum des années 80.
00:37:24 Mais pour mon copain Frenkel,
00:37:29 c'était un mode de vie.
00:37:59 Patchouli.
00:38:00 - Comment on s'en sert ?
00:38:05 On fait couler une goutte,
00:38:17 C'est tout.
00:38:19 C'est impossible qu'un copain
00:38:22 Je me souviens que j'avançais
00:38:24 et mes soldats me disaient :
00:38:27 Tu te souviens...
00:38:33 Qu'est-ce qu'on fait, nous ?
00:38:35 Ne vous inquiétez pas,
00:38:39 vous me trouverez.
00:38:40 C'est une odeur tellement forte
00:38:43 vous n'avez aucune chance
00:38:45 Aujourd'hui encore, je l'utilise.
00:38:49 J'ai bombardé Beyrouth chaque jour
00:38:54 J'ai bombardé Beyrouth chaque jour
00:38:59 Je m'en suis tiré
00:39:04 J'ai bombardé Beyrouth chaque jour
00:39:09 Il suffit d'appuyer sur la gâchette
00:39:14 Pour anéantir des étrangers
00:39:20 C'est sûr, on a tué des innocents
00:39:25 Je m'en suis tiré
00:39:30 J'ai bombardé Beyrouth chaque jour
00:39:34 Nous avions
00:39:37 Au lever,
00:39:40 préparation du petit-déjeuner :
00:39:47 - Sur la plage ?
00:39:50 Petit saut dans la mer, retour.
00:39:54 et en route
00:41:19 Quelqu'un a crié : "Frenkel !"
00:41:23 Un enfant avec un lance-roquettes.
00:41:25 Un petit jeune.
00:41:40 - Dis-moi, Frenkel, j'y étais ?
00:41:44 On était au même cours d'officiers,
00:41:47 - Alors là-bas aussi ?
00:41:51 C'est important à savoir.
00:41:55 Est-ce possible que j'aie pu oublier
00:41:59 Ce sont des
00:42:01 Une personne se trouve
00:42:04 mais elle a la sensation
00:42:06 J'ai connu le cas
00:42:10 Je lui ai demandé comment
00:42:14 Il m'a répondu :
00:42:16 J'ai fait comme si c'était
00:42:18 un long voyage.
00:42:19 quel spectacle extraordinaire.
00:42:22 On tire, on bombarde, on crie.
00:42:26 Comme si j'observais par le viseur
00:42:46 Jusqu'au moment
00:43:01 Il m'a raconté qu'il avait vécu
00:43:05 "Nous sommes arrivés
00:43:09 - À l'hippodrome.
00:43:11 Et j'ai vu plein de carcasses de...
00:43:13 Des carcasses
00:43:18 J'ai eu le cœur brisé.
00:43:22 mais quel péché ont commis
00:43:24 pour subir un tel sort ?
00:43:27 Toutes ces carcasses de chevaux,
00:43:30 Ce mécanisme qu'il utilisait
00:43:34 c'est-à-dire voir la guerre en photo
00:43:37 l'avait protégé.
00:43:39 Mais en devenant partie prenante,
00:43:44 "Ça ne m'arrive pas à moi !"
00:43:45 Toutes ces horreurs lui sont arrivées.
00:43:55 Tu as dit ne pas te souvenir
00:44:00 où était apparu l'enfant
00:44:03 Tu te souviens d'autres choses ?
00:44:05 De tes permissions,
00:44:07 de tes discussions avec tes amis ?
00:44:11 Tu te souviens d'autres événements ?
00:44:13 Je m'en souviens dans le détail.
00:44:16 De quoi, par exemple ?
00:44:17 De toutes les visites à la maison.
00:45:07 Je me souviens de mon enfance,
00:45:11 tout était paralysé.
00:45:13 Les pères étaient au front
00:45:15 et les enfants avec leurs mères
00:45:18 avec les fenêtres fermées,
00:45:21 les lumières éteintes,
00:45:22 attendant l'arrivée d'un avion
00:45:27 Personne ne voulait sortir.
00:45:32 Je rentre du Liban
00:45:33 pour la première fois
00:45:37 et je vois que la vie continue
00:45:51 Durant cette permission,
00:45:55 récupérer ma petite amie Yaëli
00:45:56 qui m'a quitté un peu avant
00:46:20 Tu ne te souviens pas
00:46:22 Un peu de Sprite, voilà.
00:46:24 Et... prêt ?
00:46:30 Bois !
00:46:35 Les choses commencent à me revenir,
00:46:37 j'ai rencontré des gens
00:46:41 J'ai presque le tableau complet.
00:46:43 Où tu en es maintenant ?
00:46:44 Je me souviens
00:46:46 du siège de Beyrouth.
00:46:48 Et que Yaëli t'avait plaqué
00:46:51 Comment tu t'en souviens ?
00:46:57 Tu sais que j'ai aussi
00:47:02 Non, je ne savais pas.
00:47:05 Si.
00:47:08 Pourquoi tu t'énerves ?
00:47:11 Je ne m'énerve pas.
00:47:16 Toi, tu avais ta maison,
00:47:18 ta famille.
00:47:19 Quelle maison ? Quelle famille ?
00:47:23 Tu parles d'une famille !
00:47:29 Pour me consoler, il m'a raconté
00:47:32 la Seconde Guerre mondiale.
00:47:34 Les soldats russes à Stalingrad
00:47:36 ont reçu 48 heures de permission
00:47:48 Ils ont pris le train,
00:47:50 sont arrivés chez eux,
00:47:54 ont embrassé leurs copines
00:47:57 ils ont repris le même train
00:48:01 Tu as compris.
00:48:05 Il croyait que ça me consolerait.
00:48:10 24 heures après mon arrivée,
00:48:14 C'était le début de la mode
00:48:18 Ça marche encore aujourd'hui.
00:48:19 Aujourd'hui encore,
00:48:22 Les explosions, ça fait fureur.
00:48:25 Je suis arrivé dans une villa
00:48:36 Super villa, des dorures partout,
00:48:39 des lavabos en marbre, superbe.
00:48:45 Je vois un officier,
00:48:48 Il ne me regarde pas
00:48:51 Avance, avance.
00:48:54 Avance, avance.
00:48:56 "Bonjour Madame,
00:49:00 "Ici en bas.
00:49:07 "- Vous avez vu mon outil ?
00:49:10 "Le gros et long.
00:49:15 "Quel grand trou."
00:49:17 Avance, avance.
00:49:29 Arrête !
00:49:32 "C'est à vous, la Mercedes rouge ?
00:49:35 "Un instant,
00:49:42 Et tout en changeant de cassette,
00:49:46 "On a des renseignements
00:49:48 une Mercedes rouge
00:49:52 Quand en arrive une,
00:49:54 "N'importe laquelle ?"
00:49:55 "Tu es con ou quoi ?"
00:49:58 Et une Mercedes est arrivée ?
00:50:00 Nous avons attendu la Mercedes
00:50:04 qu'elle vienne exploser parmi nous
00:50:06 et que quelque chose
00:50:44 Et puis, au petit matin,
00:50:50 Bachir est mort.
00:50:53 - Quel Bachir ?
00:50:55 Le président élu du Liban,
00:50:58 un allié chrétien,
00:51:02 On l'a assassiné.
00:51:04 Réveille tout le monde.
00:51:07 Je ne me souviens pas bien
00:51:08 du vol vers Beyrouth Ouest,
00:51:10 juste de pensées
00:51:15 parce que Yaëli m'avait quitté
00:51:19 et ce que je voulais,
00:51:22 pour qu'elle éprouve
00:51:25 jusqu'à la fin de ses jours.
00:51:31 Et tandis que je rêve de mort,
00:51:34 nous approchons de Beyrouth.
00:51:36 Nous apercevons une ville
00:51:39 des gens qui s'agitent.
00:51:41 Nous atterrissons
00:51:44 à bord d'un hélicoptère militaire,
00:51:46 au milieu des avions
00:51:50 de British Airways.
00:51:52 Petit à petit, je suis ému
00:51:56 une émotion intérieure,
00:52:06 À un moment donné,
00:52:08 je suis rentré dans le terminal
00:52:11 avec la sensation d'être en voyage,
00:52:15 une sorte d'hallucination.
00:52:17 Comme si j'étais
00:52:20 et que je n'avais qu'à choisir
00:52:24 Je suis devant un tableau des départs
00:52:27 et je me dis :
00:52:29 "Tu n'as qu'à choisir."
00:52:31 Je vois : 14 h 10, Londres,
00:52:34 15 h 20, Paris,
00:52:36 16 h 00, New York.
00:52:40 Je me balade dans le terminal,
00:52:43 je vois le duty-free :
00:52:48 d'alcool...
00:52:49 Je suis toujours dans ce trip
00:52:51 quand je réalise soudain
00:52:53 Par la fenêtre,
00:52:57 de la TWA, d'Air France,
00:52:59 ont été bombardés
00:53:03 Les magasins sont vides,
00:53:05 pillés depuis longtemps.
00:53:07 Et le tableau des départs
00:53:13 Je commence à entendre
00:53:16 les bombardements sur la ville,
00:53:19 les bombardements de l'aviation.
00:53:21 Je commence à réaliser où je suis,
00:53:23 et à avoir peur de ce qui va se passer.
00:53:30 On s'est mis à marcher
00:53:32 vers la ville.
00:53:34 D'un côté, de grands hôtels
00:53:38 de l'autre, la mer.
00:53:48 Nous marchons sur la promenade
00:53:52 et approchons
00:53:55 À un moment donné,
00:53:58 depuis les étages supérieurs des hôtels.
00:54:01 On ne voyait pas d'où les tirs
00:54:06 On avait un blessé
00:54:08 mais paniqués,
00:54:11 On crevait de peur.
00:54:25 Et dans cet enfer,
00:54:28 arrive ce journaliste télé,
00:54:33 Il marche droit sous les balles,
00:54:36 comme Superman,
00:54:40 Les balles volent
00:54:43 Devant lui,
00:54:44 un caméraman rampe,
00:54:47 tremblant de peur, casqué,
00:54:50 il ne voit pas à un mètre.
00:54:52 C'était un carrefour important.
00:54:55 Une voie qui menait
00:55:01 dans le quartier de Hamra
00:55:05 Je me souviens des bruits,
00:55:09 Ils tiraient des roquettes,
00:55:12 le bruit rappelait
00:55:14 les flèches indiennes.
00:55:16 Avant d'exploser,
00:55:22 Ce n'est pas l'explosion
00:55:25 mais ce sifflement
00:55:27 et le tremblement des murs.
00:55:29 Avec tout ça,
00:55:31 sur les terrasses du haut,
00:55:36 femmes, enfants et vieillards
00:55:39 qui regardent
00:55:55 De tous côtés,
00:56:06 Il est impossible de passer.
00:56:09 Maintenant tu te souviens
00:56:10 que durant mon service,
00:56:13 Quand j'étais élève-officier,
00:56:16 "Après tant de temps avec une MAG,
00:56:19 J'ai reçu un Galil.
00:56:21 Et alors qu'on nous tire dessus
00:56:26 je réalise
00:56:28 que je ne tire pas avec le Galil
00:56:33 L'arme à laquelle
00:56:39 Et je dis à Erez :
00:56:44 passe-moi la MAG.
00:56:46 Je ne traverse pas cette rue
00:56:49 passe-moi la MAG
00:56:52 Je tire bien à la MAG."
00:56:55 Il me dit :
00:56:58 On nous tire dessus,
00:56:59 arrête de me faire chier et tire."
00:57:02 Alors, on a tiré.
00:57:06 À un moment donné,
00:57:08 une action extraordinaire.
00:57:10 Je l'ai attrapé et je lui ai dit :
00:57:12 "Écoute, Erez, donne-moi la MAG,
00:57:15 ou je la prends de force."
00:57:41 Durant une minute
00:57:44 je vois Frenkel au croisement,
00:57:46 les balles sifflent autour de lui,
00:57:48 de toutes parts.
00:57:53 il se met à danser,
00:57:57 Il leur montre qu'il veut rester là,
00:57:59 qu'il veut y rester pour toujours.
00:58:03 Il veut valser entre les balles,
00:58:05 avec autour de lui
00:58:09 Alors qu'à 200 mètres de là,
00:58:11 les fidèles de Bachir
00:58:15 préparent le massacre des camps
00:58:28 La mémoire commence à me revenir.
00:58:32 J'ai rencontré des gens,
00:58:35 J'ai entendu des histoires
00:58:41 Alors, qu'est-ce qui te manque ?
00:58:45 Seulement le jour du massacre
00:58:48 Le reste, je l'ai.
00:58:50 Tu veux que je te dise la vérité ?
00:58:53 Je ne comprends pas pourquoi
00:58:55 que les phalangistes
00:58:58 J'ai tout de suite compris
00:59:06 Je me souviens de cette boucherie
00:59:10 Où ?
00:59:11 Cette boucherie, ce terrain vague
00:59:14 où ils amenaient les Palestiniens,
00:59:16 les interrogeaient
00:59:19 Cet endroit,
00:59:29 Ils se baladaient avec des organes
00:59:32 conservés dans des pots de formol.
00:59:37 Tu pouvais voir un doigt,
00:59:40 Tout ce que tu voulais.
00:59:47 Ils tenaient constamment
00:59:50 Un pendentif Bachir, une montre.
00:59:52 Bachir par-ci, Bachir par-là.
00:59:54 Cet homme, comment dire...
00:59:57 était pour eux
01:00:00 Une star,
01:00:02 une idole,
01:00:06 Je pense qu'ils avaient quasiment
01:00:09 Absolument, érotique.
01:00:12 Tu comprends ?
01:00:14 C'est nous
01:00:17 et le lendemain, il se fait assassiner.
01:00:20 C'était clair qu'ils allaient
01:00:24 Il fallait s'y attendre.
01:00:25 C'est comme si
01:00:27 C'était une question d'honneur familial.
01:00:34 Dis-moi, pourquoi tu es revenu ?
01:00:36 J'ai toujours
01:00:40 dans la mer...
01:00:42 Et dans mon rêve, tu es avec moi.
01:01:22 T'es vraiment pas normal.
01:01:25 Complètement taré.
01:01:27 Quelle mer ?
01:01:28 De quoi tu parles ?
01:01:30 Qui pouvait être dans la mer
01:01:32 De quoi tu parles ?
01:01:44 Écoute, c'est comme si
01:01:47 Je n'ai trouvé personne
01:01:49 au moment du massacre.
01:01:52 Aucun souvenir fiable
01:01:55 de quelqu'un d'autre
01:01:58 sur l'époque du massacre.
01:02:00 Tout ce qui me reste,
01:02:04 et le seul qui était avec moi
01:02:06 nie la possibilité de s'y trouver.
01:02:09 Mais elle est bien réelle.
01:02:11 - Ce n'est qu'une hallucination.
01:02:13 - Je peux l'interpréter pour toi ?
01:02:15 Que représente la mer
01:02:17 Quoi ?
01:02:18 Les peurs, les sentiments.
01:02:21 Tu es effrayé.
01:02:22 Le massacre te préoccupe
01:02:23 tu étais tout près.
01:02:25 Ça ne m'aide pas tellement.
01:02:27 Écoute, ta préoccupation
01:02:30 est beaucoup plus ancienne
01:02:33 En fait, tu es préoccupé
01:02:36 Ton intérêt pour ce qui s'est passé
01:02:39 en concerne d'autres.
01:02:41 Tes parents étaient dans les camps ?
01:02:42 - Oui.
01:02:44 Oui.
01:02:45 Ça remonte à ton enfance.
01:02:46 Pour toi, ce massacre
01:02:50 C'est ce massacre-là,
01:02:53 La seule solution,
01:02:55 c'est de vérifier
01:02:58 à Sabra et Chatila.
01:03:01 Rencontre des gens,
01:03:04 Qui était où. Les détails.
01:03:06 Peut-être que,
01:03:10 tu te souviendras où tu étais
01:03:13 et quel était ton rôle dans tout ça.
01:03:25 Ce jour-là, on nous a envoyés
01:03:28 occuper une certaine position.
01:03:30 C'était une colline.
01:03:32 Cette colline était en fait
01:03:34 située à la limite ouest
01:03:38 De ma position, je voyais
01:03:41 une zone peuplée,
01:03:44 J'essuie des tirs.
01:03:45 On essaie d'identifier leur origine
01:03:53 Petit à petit,
01:03:56 Ils portent l'uniforme israélien,
01:04:00 prennent position derrière nos tanks.
01:04:03 Et puis je suis appelé
01:04:07 en anglais.
01:04:08 Et qu'est-ce qu'on explique
01:04:10 En fait, on nous explique
01:04:14 nous sommes leur couverture.
01:04:17 Ils vont nettoyer les camps.
01:04:18 Et quand ils auront fini le nettoyage,
01:04:20 on rentrera pour prendre
01:04:22 le contrôle.
01:04:23 - Nettoyer quoi ?
01:05:15 Le matin, ils ont commencé
01:05:25 Ils ont évacué les civils.
01:05:26 Les civils étaient accompagnés
01:05:30 en une longue file,
01:05:34 encadrés par des phalangistes
01:05:36 Ils hurlaient
01:05:41 Des femmes, des vieillards,
01:05:43 des enfants
01:05:46 jusqu'à leur arrivée au stade.
01:05:51 Avec tes copains du tank,
01:05:53 vous vous demandiez
01:05:56 Vous vous interrogiez ?
01:06:00 Pas particulièrement.
01:06:02 quand ils préparaient l'entrée
01:06:04 ils utilisaient des haut-parleurs
01:06:07 Ceux qui restaient
01:06:11 Ça semblait normal
01:06:12 qu'avant de rentrer dans une zone
01:06:15 on leur dise :
01:06:17 "Si vous ne voulez pas être blessés,
01:06:42 Le jour même,
01:06:43 je suis allé à Docha, ville côtière,
01:06:47 où il y avait
01:06:53 En cours de route,
01:06:54 j'ai vu des blindés de phalangistes.
01:06:57 Ils étaient joyeux,
01:06:59 très gais,
01:07:00 ils roulaient
01:07:04 À l'aéroport,
01:07:05 j'ai rencontré
01:07:08 qui m'a dit :
01:07:11 "Tu as entendu
01:07:14 Et il pointait du doigt
01:07:17 Je lui ai dit :
01:07:21 "Je n'ai pas vu,
01:07:22 mais un massacre est en cours,
01:07:24 à ce qu'on raconte."
01:07:26 Des gens ont été égorgés,
01:07:29 d'autres ont été emmenés
01:07:32 et au couteau,
01:07:34 ils leur ont gravé
01:07:39 Ils étaient blessés,
01:07:43 Ils les ont embarqués
01:07:55 On a vu un phalangiste
01:07:59 un vieillard.
01:08:05 À un moment donné,
01:08:08 On a entendu des tirs.
01:08:12 Et puis le phalangiste
01:08:16 On lui a demandé
01:08:18 On ne le comprenait pas,
01:08:21 avec des gestes
01:08:23 On a compris qu'il voulait
01:08:25 que l'homme se prosterne devant lui.
01:08:28 Comme l'homme avait refusé,
01:08:30 D'abord dans les genoux,
01:08:31 puis dans le ventre
01:08:33 et finalement dans la tête.
01:08:39 Tu finis par comprendre,
01:08:41 par te dire :
01:08:43 "Des camions rentrent vides
01:08:48 des femmes et des enfants
01:08:51 un bulldozer y rentre"
01:08:52 et tu te dis :
01:08:54 Est-ce que tu t'es dit :
01:08:56 "Mais comment
01:09:00 Oui, bien sûr, à un moment.
01:09:03 Mais seulement
01:09:07 "On a vu !"
01:09:09 Ils étaient assis sur le tank
01:09:11 et ont affirmé les avoir vus
01:09:13 aligner des gens le long d'un mur
01:09:28 Soudain, ils ont hurlé :
01:09:29 "Ils tirent sur des gens !"
01:09:32 J'ai alors appelé mon supérieur
01:09:37 Je lui ai dit
01:09:40 se passaient dans les camps.
01:09:43 Il m'a dit : "On sait.
01:09:45 On s'en occupe. On a transmis."
01:09:47 Moi, j'ai cru que Tsahal
01:09:52 Où se trouvait le quartier général ?
01:09:56 Derrière moi, à une centaine de mètres,
01:10:01 De quelle hauteur ?
01:10:02 Très élevé, ce qui permettait
01:10:06 ou en tout cas, je suppose,
01:10:33 Je ne voulais pas sortir de nuit
01:10:36 Je suis parti pour mon appartement
01:10:38 de Bahabda,
01:10:40 Micha Friedman était avec moi.
01:10:43 On a décidé de dîner ensemble
01:10:46 et Micha a invité les gars
01:10:49 de l'un des régiments
01:10:54 Pendant le repas,
01:10:59 Il me dit :
01:11:01 "Ron, mes hommes disent
01:11:03 que ce qui se déroule
01:11:05 c'est un massacre."
01:11:07 Il m'a raconté un cas ou deux.
01:11:10 Qu'ils avaient vu
01:11:13 et qu'on la fusillait.
01:11:14 Je lui ai demandé :
01:11:16 "Tu l'as vu toi-même ?"
01:11:18 Il m'a dit :
01:11:19 "Non, pas personnellement,
01:11:22 tout comme les officiers ici."
01:11:23 On en a reparlé plus tard
01:11:28 Lorsqu'ils sont partis,
01:11:30 à 23 h 30,
01:11:33 j'ai avalé un demi-verre de whisky
01:11:35 et j'ai téléphoné à Ariel Sharon,
01:11:39 à son ranch.
01:11:41 Arik était à moitié endormi
01:11:45 mais je lui ai dit :
01:11:47 "On raconte qu'il y a un massacre
01:11:51 que les Palestiniens sont massacrés.
01:11:54 Il faut arrêter tout ça."
01:11:56 Alors il m'a demandé :
01:11:59 "Tu l'as vu toi-même ?"
01:12:01 J'ai répondu :
01:12:02 "Pas moi, mais suffisamment de gens
01:12:08 Il a dit : "OK."
01:12:10 "Merci d'avoir attiré mon attention
01:12:13 En général, on dit :
01:12:15 "Je vais vérifier,
01:12:16 Mais là, rien ! Rien.
01:12:18 Il m'a dit :
01:12:19 "Merci de me l'avoir dit,
01:12:22 Comme si...
01:12:24 et il est retourné dormir.
01:12:27 Je vais te dire ce qui me surprend.
01:12:29 Il y a eu un massacre perpétré
01:12:36 Tout autour, il y avait
01:12:42 Chaque cercle avait
01:12:43 des bribes d'informations.
01:12:47 Et pourtant, ils n'ont pas compris
01:12:50 qu'ils assistaient
01:12:53 Dans quel cercle étais-tu ?
01:12:55 Dans le deuxième ou le troisième.
01:12:58 Qu'a -t-on fait dans ces cercles ?
01:13:03 Nous étions sur un toit
01:13:07 Éclairé par quoi ?
01:13:09 Des fusées éclairantes,
01:13:11 qui les ont apparemment aidés
01:13:21 Des fusées tirées par qui ?
01:13:23 Qu'est-ce que ça change ?
01:13:24 C'est différent si j'ai tiré
01:13:26 des fusées éclairantes...
01:13:28 ou si j'ai juste vu des fusées
01:13:30 qui ont aidé des gens
01:13:34 Pas de la façon
01:13:38 Tu ne te souviens pas du massacre
01:13:41 parce que, pour toi,
01:13:42 le premier cercle, celui des assassins,
01:13:45 constituent un seul et même cercle.
01:13:47 À 19 ans, tu t'es senti coupable,
01:13:50 endossant le rôle du nazi malgré toi.
01:13:52 Tu y étais. Tu as tiré des fusées,
01:14:12 Je crois que
01:14:13 je me suis levé à 5 h, 5 h 30,
01:14:17 j'ai réveillé les gars
01:14:20 et je suis parti pour Sabra et Chatila.
01:14:24 Je suis arrivé, c'était la pagaille.
01:14:30 Tu connais la fameuse photo
01:14:33 du ghetto de Varsovie ?
01:14:35 L'enfant avec les bras en l'air.
01:14:42 Une longue file de femmes,
01:14:44 de vieillards et d'enfants
01:14:48 J'ai d'abord pensé aller au QG
01:14:52 mais alors que je m'apprêtais à y aller,
01:14:55 Amos est arrivé.
01:14:56 Il était en tête de convoi
01:14:58 et, avec ses gestes énervés,
01:15:01 les a arrêtés.
01:15:02 C'est ce qui a mis fin
01:15:06 Arrêtez les tirs.
01:15:08 Arrêtez les tirs immédiatement !
01:15:11 Vous avez ordre d'arrêter les tirs.
01:15:15 Immédiatement !
01:15:18 Rentrez chez vous, maintenant !
01:15:34 Les phalangistes sont partis
01:15:38 Les femmes et les enfants
01:15:42 - Les Palestiniens ?
01:15:52 J'ai dit à mon équipe de suivre
01:15:56 ces femmes et ces enfants,
01:16:00 qu'on allait voir ce qui se passait
01:16:04 J'ai vu énormément
01:16:08 Et soudain,
01:16:10 je vois une petite main,
01:16:12 une main d'enfant,
01:16:15 sortant des décombres.
01:16:18 Je regarde encore
01:16:20 et je vois des boucles,
01:16:24 une tête bouclée,
01:16:27 couverte de poussière.
01:16:28 C'est pour ça
01:16:30 mais c'était une tête
01:16:32 visible jusqu'au nez.
01:16:37 Une main et une tête.
01:16:39 Ma fille avait presque le même âge
01:16:44 et la même tête bouclée.
01:16:52 Les maisons palestiniennes des camps
01:16:56 On y a trouvé
01:16:59 Ils ont d'abord sorti les hommes
01:17:02 puis le reste de la famille a suivi.
01:17:07 On est allés
01:17:09 dans une ruelle étroite,
01:17:11 la largeur d'un homme et demi.
01:17:15 Elle était pleine, bloquée,
01:17:18 jusqu'à hauteur de poitrine,
01:17:23 de cadavres de jeunes hommes.
01:17:26 J'ai alors compris que je voyais
01:19:56 VALSE AVEC BACHIR